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Harcèlement au travail : une responsabilité collective ?

Rédigé par Coralie Schmitt

 

Depuis le début de « l’affaire Weinstein », on n’en finit pas de découvrir de nouvelles révélations sur des situations de harcèlement sexuel en milieu de travail.

La « parole se libère » peut-on voir dans les différents articles ou reportages sur le sujet, les victimes peuvent enfin commencer à se défaire de leur culpabilité pour pouvoir se reconstruire… Elles ne se sentent plus forcément responsables de ce qui leur est arrivé ni surtout du fait d’être restées silencieuses pendant de longs mois, parfois des années…

Mais au fait, pendant ces longs mois voire ces longues années, et sur toute la période où les faits se déroulaient, qui était au courant ?

Comment est-il possible que de telles situations aient pu s’inscrire dans la durée sans que personne ne réagisse ?

 

N’étaient-elles vraiment pas visibles ? Etaient-elles tolérées par la hiérarchie ou les collègues ? La peur empêchait-elle de dénoncer ou simplement de regarder les choses en face ?

 

Cette question mérite à mon sens d’être étudiée de très près si on veut vraiment que le harcèlement (qu’il soit sexuel ou moral d’ailleurs) puisse être combattu avec efficacité.

Que le harcèlement soit sexuel ou moral, il faut sans doute remonter à la source du problème qui se limite rarement à une question de personnalité pathologique (le harceleur) et à une « simple » relation bourreau/victime, mais aussi à ce qui empêche de dénoncer (individuellement ET collectivement)…

 

Pour commencer, un petit rappel juridique : les articles L4121 et L4122 du code du travail stipulent que l’employeur a l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés.

Pour ce faire, il doit mettre en place une organisation de travail saine, informer et former les salariés afin que ceux-ci soient en mesure de veiller eux-mêmes sur leur propre santé et celle de leurs collègues…

 

Article L4121: « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

 

Article L4122: « Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».

 

Si on en croit la loi, chacun porte donc une part de responsabilité dans la prévention de situations pouvant porter atteinte à la santé de ses collègues, tout au moins en fonction de ce qu’il est en mesure d’identifier comme potentiellement dangereux… ce qui suppose un minimum de sensibilisation, qui se situe cette fois sous la responsabilité de l’employeur (actions de formation, groupes de travail sur la question…).

 

Soit, mais dans les faits, pour être en capacité de détecter des agissements qui peuvent relever du harcèlement, encore faut-il regarder et voir ce qui se passe autour de soi et disposer d’un minimum de « courage » pour intervenir dans un système relationnel dans lequel on n’est pas forcément directement impliqué mais dont on pressent qu’il présente un danger potentiel.

 

Qui plus est, en ce qui concerne le harcèlement sexuel, il faut être capable, le cas échéant, de prendre du recul par rapport à des agissements ou des propos qui sont parfois institués comme des « traditions », des « éléments culturels » sous couvert « d’humour » plus ou moins graveleux acceptés par tous (et toutes) …

 

Etre le premier ou le seul à dénoncer des faits que tous semblent trouver « normaux » n’est pas forcément chose aisée… Et celui qui prend ce risque se trouve parfois lui-même rejeté et exclu d’un collectif qui s’est constitué autour de ces pratiques, ce qui peut menacer sa propre santé mentale…

 

De fait, il est donc indispensable de pouvoir resituer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, mais aussi d’interroger, lorsque certaines pratiques sont instituées en tant que rituels, ce qu’elles viennent apporter au collectif : il n’est pas rare par exemple que dans les métiers qui confrontent à la mort, le rapport à la sexualité soit modifié par un besoin de se raccrocher à la vie sous couvert de systèmes défensifs laissant libre cours à la pulsion sexuelle.

 

Sans que cela ne rende acceptable des conduites ou des paroles déplacées, ni des rapports de domination/soumission portant atteinte à l’intégrité physique et/ou psychique des sujets, il est important de situer les pratiques dans leur contexte pour ne pas s’en tenir à la stigmatisation de certaines personnes (même si les auteurs d’actes répréhensibles doivent évidemment répondre de leurs agissements), mais tenter de faire évoluer un système de fonctionnement collectif afin que la situation ne se reproduise pas.

 

De même, dans des environnements où la mise en concurrence devient de plus en plus prégnante, avec des évaluations de résultats individualisées qui ne favorisent pas la coopération entre salariés, voire l’entravent totalement en réduisant les possibilités d’échanges ou de communication, l’isolement dans lequel se retrouvent les salariés laisse la porte ouverte à des pratiques sur lesquelles certains pourront fermer les yeux, ne serait-ce que dans un but de préservation de soi.

Dans d’autres cas, des salariés seront survalorisés, mis en avant et présentés comme « les meilleurs », les « exemples à suivre » lorsqu’ils obtiennent de bons résultats.

 

 Certains peuvent entrer dans un jeu qui consiste à en rajouter, ils se mettent à fanfaronner, créent des jalousies… et dès lors, le fait qu’ils puissent être « remis à leur place » de façon plus ou moins brutale de temps à autres peut être perçu par les collègues comme un juste retour des choses…

Certains peuvent être témoins, ponctuellement, de propos désobligeants ou blessants (de la part de hiérarchiques ou de collègues) sans réagir parce que « ça lui fait un peu les pieds »…, mais il devient ensuite difficile de se manifester si les agissement se répètent, dépassent ce qui peut sembler acceptable, et se rapprochent de conduites harcelantes…

 

Plus largement, le curseur de ce qui est acceptable, voire supportable, peut varier d’une personne à l’autre, parce que la domination genrée et la division sexuée du travail sont une réalité sociétale, et que remettre en cause des pratiques culturellement ancrées, (et parfois acceptées parce qu’on ne s’en rend même plus compte !) depuis des générations ne se fait pas facilement ni rapidement.

 

Alors quoi, faut-il laisser faire ??? Bien sûr que non…

 

Mais est-ce vraiment en dénonçant individuellement, et plus ou moins anonymement, via des réseaux sociaux, qu’il sera possible de faire évoluer les choses ?

Ou ne s'agirait-il pas plutôt de faire preuve de pédagogie et de travailler, dans chaque environnement de travail, avec ceux qui le constituent, sur l’ensemble des propos / attitudes qui peuvent se révéler être une souffrance pour celles et ceux qui les subissent ?

 

Evidemment, ceci suppose, dans un certain nombre de situations, de commencer par recréer des dynamiques collectives fondées sur le « bien-vivre ensemble », de (re)donner la possibilité de porter une attention bienveillante et authentique à autrui, de permettre à la parole de s’exprimer sans crainte de représailles...

 

Cela peut prendre du temps… mais l’enjeu n’est-il pas suffisamment important pour accepter d’y consacrer ce temps nécessaire ?